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littérature française - Page 200

  • Drôle de jeu / JEA

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    Vailland Deux couvertures.jpg

     

    Quand j’ai lancé Textes & Prétextes, j’imaginais une aventure plutôt solitaire, or la blogosphère bruisse de liens. Pas seulement de renvois vers d’autres pages, d’autres sites, mais de relations inédites qui se nouent avec le temps entre ceux qui écrivent et ceux qui lisent, ou l’inverse, par l’échange des commentaires. Si vous avez cliqué sur ces initiales, JEA, vous connaissez déjà « Mo(t)saïques », son blog remarquable écrit « dans la marge – et pas seulement par les (dis)grâces de la géographie et de l’histoire… » A travers ses chroniques blanc sur noir, rigoureusement documentées, ses poèmes parfois toponymiques au rythme des saisons et des paysages, le rouge entretient les braises d’un bon feu de mémoire et de solidarité au présent voyez sa 200e page, généreusement fêtée. JEA a récemment ouvert des « pages nomades » où il m’a fait l’amitié d’une invitation. Dans l’esprit de cette « amicale », je lui laisse la plume pour vous présenter Drôle de jeu, de Roger Vailland. 

     

    * * *

     

    La première page porte la date du 17 juin 1940. Ce Journal se referme le 23 juin 1943.

    Son auteur, Daniel Cordier, « Alias Caracalla » (1), y décrit scrupuleusement son  itinéraire depuis Bayonne. Quand le dos tourné à une France se pétainisant, il va s’engager à 19 ans dans les Forces françaises libres à Londres. Y rongeant à sang toutes ses impatiences. Jusqu’au 25 juillet 1942. Volontaire, il est parachuté près de Montluçon. Envoyé pour devenir le radio (Bip W) de Georges Bidault (2), il se retrouve secrétaire de… Jean Moulin. Daniel Cordier en sera inséparablement fidèle jusqu’à l’arrestation de Rex, le 21 juin 1943.

    Parti en Angleterre antisémite impur et dur, son cheminement le conduit à voir de ses propres yeux les préparatifs et les applications journalières du judéocide en France.
    Il ne s’en guérira pas.

    Parti d’Angleterre avec la conviction que la résistance en France était idéaliste et « efficace », il est obligé de comprendre que « la réalité est tout autre : les mouvements sont incapables de mobiliser des hommes déterminés, même peu nombreux, en vue d’opérations de choc » (3) telle la libération de Jean Moulin…

    D’ailleurs, quels responsables de mouvements ont-ils voulu seulement lever le petit doigt pour arracher aux bourreaux nazis ce président du Comité National de la Résistance ?

    Et Daniel Cordier de conclure sans exagération : « La vérité est parfois atroce ».

     

    Ce Journal de plus de 900 pages s’ouvre sur cette explication du titre :

    - « En 1943, je fis la connaissance de Roger Vailland, dont je devins l’ami.
    Après la libération, il m’offrit
    Drôle de jeu, récit à peine romancé de notre relation. « J’ai choisi pour votre personnage le pseudonyme de « Caracalla ». J’espère qu’il vous plaira. »

    Aujourd’hui, pour retracer une aventure qui fut, par ses coïncidences, ses coups de théâtre et ses tragédies, essentiellement romanesque, ce pseudonyme imaginaire a ma préférence sur tous ceux qui me furent attribués dans la Résistance. » (4)

     

    Drôle de jeu ? Buchet-Chastel l’a publié en 1945. « Le livre de poche » l’inscrivit ensuite à son catalogue en 1973. En avant donc pour le tour des bouquinistes… Avec des prix parfois indécents. Mais au Journal de Daniel Cordier mis en librairies en mai 2009, succède en novembre une réédition du roman de Vailland par Phébus libretto. Avec sans doute un lien de cause à effet. Ce libretto 303 sera notre référence. 

    Avis à la population.jpg

    Vichy et la Résistance...  Affiche sortant de l'Imprimerie centrale de Beauvais. (Photo JEA)

     

    Dès la découverte du 4e de couverture, les lecteurs (masc. gram.) coincent sur ces précisions soulignées par Roger Vailland en 1945 :

    « Drôle de jeu est un roman – au sens où l’on dit romanesque –, une fiction, une création de l’imagination.

    Ce n’est pas un roman historique. Si j’avais voulu faire un tableau de la Résistance, il serait inexact et incomplet puisque je ne mets en scène ni les maquisards ni les saboteurs des usines (entre autres exemples), qui furent parmi les plus purs et les plus désintéressés héros de la Résistance. Mais Drôle de jeu n’est pas un roman sur la Résistance. Il ne peut fournir matière à aucune espèce de polémique – autre que purement littéraire –, et tout argument d’ordre historique ou politique qu’on y puiserait serait, par définition, sans valeur.

    Si enfin le nom ou le pseudonyme d’un de mes « héros » se trouvait appartenir à un personnage existant réellement, ce serait pure coïncidence, indépendante de ma volonté et sans aucune signification. »

     

    Voilà qui, avec du recul, semble distillé par des cornues bien précautionneuses. Si pas hypocrites. Vailland se réfugie dans les brumes de la fiction pour mieux enfumer ses lecteurs. Ou se protéger des antagonismes entre gaullistes et communistes, entre résistants de la première heure et de la dernière seconde, entre partisans d’une littérature réaliste et ceux qui s’embarquent pour des navigations plus surréalistes ???

     

    Mais dès la première page, l’auteur se dément lui-même. En présentant immédiatement « le patron » :

    - « Caracalla, qui bien qu’admirateur de l’Armée rouge (5), est loin d’être un révolutionnaire ; on raconte même qu’avant la guerre, il était inscrit à l’Action française. » (P. 13).

    Et d’insister, deux pages plus loin :

    - « Au fait, tu ne sais pas, Caracalla c’est un des chefs de la délégation gaulliste…

    - Une huile !

    - Dissident de juin 40, école spéciale en Angleterre, envoyé en France avec trente de sa promotion ; les vingt-neuf autres ont été pris ou tués… Il n’a que vingt-trois ans.

    - Tu travailles avec lui ?

    - Pas directement, mais c’est un ami personnel… » (P. 15).

     

    Impossible de ne pas reconnaître Daniel Cordier.

     

    Ainsi, les voies de deux lectures (au moins) sont-elles ouvertes dans ce Drôle de jeu. L’histoire. Le roman. En complément, voire se confondant, et non au détriment l’une de l’autre.

     

    Pour l’histoire, se distingue par exemple, la figure immédiatement identifiable de Lucie Aubrac. Elle va vraiment arracher Raymond, son mari, des griffes de la Gestapo (6) :

    - « Un jour, elle apprit qu’il allait être transféré dans une autre prison. Elle parvint à avoir la date et l’heure du transfert. Elle courut chez les camarades,
    ils restèrent sceptiques – on se méfie des illusions d’une femme aimante. Elle parvint à les convaincre. Ils n’avaient pas d’armes, tout venait d’être raflé, elle les secoua tellement qu’ils s’en procurèrent et réunirent quelques copains. Elle eut une mitraillette pour elle, car elle les avait persuadés de la laisser participer à l’affaire. Une heure avant l’action, elle parvint à s’isoler quelques instants avec le plus jeune, celui qui lui avait paru le moins sévère :

    « - Montre-moi comment on se sert de cet outil-là, demanda-t-elle. » (P. 34).

     

    Quant à la fiction, Pierre-Robert Leclercq la décrit en ces termes :

    « Drôle de jeu, le plus étonnant des romans que la période de l'Occupation ait inspirés. Son personnage central, François Lamballe, dont le nom de résistant est Marat, mène en effet une vie double, celle d'un combattant et celle d'un libertin. Une coexistence qui n'a rien de schizophrénique.

    Guerre et hédonisme. Les compagnons de Marat s'interrogent. Au cours d'une conversation avec son camarade Rodrigue, Marat donne sa réponse : "La guerre exige la même loyauté que l'amour, c'est pourquoi l'homme noble n'admet que deux occupations, la guerre et l'amour." Lui entend vivre les deux. Homme de plénitude, il est entré en résistance comme on entre en religion, sans renoncer à la sienne, qui est la religion du plaisir (…).

    En filigrane, et donnant une dimension supplémentaire à son propos, le roman nous dit aussi qu'il ne sert à rien de combattre une oppression si c'est pour aller vers la servitude. Quelque peu oublié, Drôle de jeu est en tout cas une grande oeuvre à retrouver ou découvrir. Un livre nécessaire. »

    (Le Monde, 12 novembre 2009).

     

    NOTES :

     

    (1) Daniel Cordier, Alias Caracalla, Coll. Témoins Gallimard, 2009, 931 p.

    Lire : http://motsaiques.blogspot.com/2009/07/p-145-daniel-cordier-une-si-rare.html

    (2) Georges Bidault (1899-1983) succèdera à Jean Moulin comme président du Comité national de la Résistance.

    (3) D. Cordier, op. cit., pp. 899-890.

    (4) id., p. 9.

    (5) Un oubli se creuse. Jusqu’aux débarquements de Sicile puis d’Italie, l’URSS fut seule en Europe à tenir tête aux nazis.

    (6) Le 21 octobre 1943, avenue Berthelot à Lyon, le groupe de Lucie Aubrac (1912-2007) libère d’un fourgon cellulaire Raymond (né en 1914).

  • Pacte

    « Car l’amour n’est pas le pacte d’épargne et d’assistance que s’imaginent les gens, mais la faculté ou le talent de deux êtres à partager la tension électrique, érotique et spirituelle d’une seule petite minute d’intuition magique, un résumé d’existence concentré en ce seul instant qui fait croire cette fusion possible. Pourtant une vie entière ne nous permet pas de l’accomplir, en réalité elle s’est accomplie en ce seul instant, et tout le reste de la vie n’est que la longue nostalgie de notre intuition magique. »

    Anne-Marie Garat, Les mal famées

    Paris 1945 Couple sur les quais de la Seine (Roger-Viollet).jpg
    © Albert Harlingue / Roger-Viollet
  • Mal famées

    Les commentaires d’Anne-Marie Garat sur un vieil appareil photographique m’ont incitée à la lire : parmi les titres proposés à la bibliothèque Sésame, Les mal famées, moins connu que son passionnant Dans la main du diable. Ce roman publié en 2000 commence avec la découverte d’une petite maison d’angle, dans une impasse abandonnée : « Une maison comme celle-là, nous n’en voulions pas. Marie disait : sache-le, une maison, c’est le poison. Le toit et les caves sont sources de contrariétés. Il nous faut un appartement. » Marie Chassagne, la cinquantaine, est cordon-bleu ; pour Lise, couturière repasseuse, « sa nouvelle mère ». Mais le gérant les a bientôt mises dans sa poche. En voyant Lise tout émue par cette ébauche de nouveau foyer, Marie loue la maison de l’impasse, elle qui a
    déjà trop longtemps vécu seule.
     

    Paris sous la neige par Roger-Viollet (1944).jpg
    © LAPI / Roger-Viollet sur http://www.parisenimages.fr/fr/

     

    A quatre ans déjà, ses parents paysans l’envoyaient garder des chèvres ou gaver des canards. Puis ils l’avaient placée comme bonne chez des bourgeois de Biarritz, « la chance de sa vie ». Là, pour la première fois, Marie avait vu la mer. Et un cuisinier hongrois, Jozsef Babits, avait pris en affection cette petite « idiote des montagnes » venue du Béarn. Au grand étonnement de Marie, le militaire qui les emploie, aux yeux et aux oreilles très sensibles, et qui aime trousser les filles, se métamorphose lors de ses réceptions en « homme de grande vie ». Quant à Babits, véritable artiste de la cuisine, « sous ses dehors de personne déplacée, c’était une crème d’homme, une sauce à la malvoisie, un baba au rhum. » Il a perdu une petite fille de dix ans et Marie lui ressemble. Il l’initie par amitié à l’art de cuisiner, dont elle fera son métier.

     

    Emmenée un jour à Paris, avenue de Wagram, par M. Reutlinger, elle s’adonne à cet « art ingrat, toujours à recommencer pour régaler les gens. » La voilà bientôt
    chef de petites souillons. La deuxième guerre éclate, son patron se cache. Elle va travailler chez les Johnston. C’est là qu’elle adopte spontanément la jeune Lise toujours aux aguets du courrier d’un fiancé « caché dans les bois » pour échapper au STO. Et quand la mère de Marie s’éteint, elles vont ensemble chercher ses meubles : « rien de plus beau et de plus utile que le ménage d’une vieille du Béarn. »

     

    Lise, dix-huit ans, prend tout de ce que lui donne Marie, y compris ses souvenirs. Cette maison devient leur premier « chez soi » : « nous nous tenions chaud par nécessité, en cet hiver de grand faim et froid », c’est l’hiver 1942. Elle croit lui
    faire plaisir en achetant d’occasion une cuisinière à charbon en échange de ses économies, cause de leur première dispute. Pour Marie, c’est une mauvaise affaire, elles n’ont pas les moyens de se procurer du charbon, mais Lise retourne chez le revendeur, obtient de sa femme un tuyau de rechange et, après lui avoir recousu un vieil édredon, de quoi se chauffer un peu.

     

    Les « mal famées » sont deux pauvres femmes qui ont servi toute leur vie sans rien avoir à elles. Dévouées : quand Reutlinger leur apporte une valise à cacher dans leur cave, elles acceptent sans aller y regarder ; lorsque la fille de Johnston fait une fausse couche la veille de Noël, elles nettoient tout sans rechigner, en plus de la charge du dîner raffiné à préparer. Ce soir-là pourtant, le maître a un mot de trop : Marie, excédée par son mépris, rend son tablier. Commence alors une vie étrange, inoccupée, à la maison de l’impasse. Dans le quartier en ruine qui semblait déserté par ses habitants, les apparences se révèlent mensongères. Un volet toujours baissé, une nuit, se lève brièvement. Autour d’elles, on se cache sans doute. Bientôt au bout de leurs maigres réserves, elles crient famine et finissent par sortir dans le grand froid à la recherche de Dieu sait quoi. Lise, voyant Marie au bord de la crise d’inanition, l’emmène chez Fréhel, la femme du marchand d’occasions, qui les accueille comme des anges providentiels : il y a un cadavre chez elle, et une petite fille cachée dans un placard, dont elle ne sait que faire. Et de la soupe chaude.

    C’est un film noir et blanc qu’Anne-Marie Garat fait défiler devant nos yeux dans Les mal famées, aux heures sombres de la guerre et de la pauvreté, aux taches claires des tabliers de bonne et de Paris sous la neige. « Sous la pellicule des choses, la vie est un chaos risible du oui et du non tirés au hasard de leurs dés par les dieux féroces. » Féroces, oui, les mal famées le seront aussi, si on les pousse à bout.

  • Les rêves impossibles

     

    Promenade (novembre 2009).JPG

     

    Tout est à jamais perdu pour l’homme

    qui sans retour renonce à son passé

    aux jeux à l’enfance des jours ensoleillés

    et ce qu’il n’a pas reçu en partage il l’invente

    Le ciel laissait tracés sur la pierre sèche

    les échelons des marelles de craie blanche

    La tête couronnée de l’odeur des lilas

    cueillis derrière les murs de la cour de l’école

    où je faisais les cent coups sous la pluie d’été

    j’escaladais les remblais des chantiers en détresse

    et dans l’angoisse des veillées les orages épiés

    venaient délirer tout haut leurs rêves impossibles

    Au bord des champs troués de pauvres fleurs de sang

    j'écoutais balbutier les complicités de la terre

    le langage entêté des oiseaux en colère

    je découvrais les feintes les soupçons trompeurs

    dans les souvenirs de jeunesse chassés à grands cris

    Le temps qui a passé et les jours de reste

    n'ont pas arrangé toujours au mieux mon lot

    la mémoire n’a pas eu la peau assez dure

    pour que j’oublie le poids et la brûlure des larmes

     

    Albert Ayguesparse (1900-1996), La traversée des âges (1992)

     

  • Le goût des autres

    « Sonia avait le goût des autres. Avec quels invités de ce dîner aurait-elle pu partager des émotions devant un paysage ? Quelques-uns, certainement, bien qu’un seul eût déjà été de trop aux yeux d’Othman. Ce n’est pas tant sa culture que sa curiosité, sans laquelle tout savoir est vain, qui lui accordait un avantage. La cause était entendue : il faut se dépêcher d’aimer les gens tant qu’ils
    respirent encore. Elle demeurait optimiste sur l’avenir du genre humain. »

    Pierre Assouline, Les invités

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